Comme tous les deux ans, les acteurs de la Réussite éducative se sont réunis, grâce au dynamisme de l’Association Anaré, portée par des coordonnateurs bénévoles. J’ai eu le plaisir d’animer l’atelier sur l’évaluation avec Olivier Brito, chercheur en Sciences de l’Education à l’Université Paris Ouest Nanterre.
Le titre de la rencontre : « Dans un contexte éducatif et social en mutation : quels enjeux et quelle place pour les Programmes de Réussite éducative ? »… A l’heure des débats sur un hypothétique « Plan Banlieues », voici mes éléments de réponse à cette question, qui sont l’occasion de rappeler les conditions fondamentales de la « réussite » : l’importance des compétences « soft » – dont l’estime de soi, le sentiment de compétence et la persévérance.
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Voilà plus de 15 ans que les équipes de réussite éducative et leurs partenaires ont été chargés de mettre en place un dispositif inédit, le Programme de Réussite éducative (PRE), pour accompagner les enfants et les jeunes habitant dans les quartiers Politique de la Ville. La méthode : suivre les enfants de manière individualisée, mobiliser l’ensemble des partenaires (sociaux, éducatifs, associatifs…) pour mettre en place un « parcours » composé d’un bouquet de solutions sanitaires et éducatives qui placent ces enfants en situation de « réussir ». Il est question de traiter tous les problèmes de santé qui ne leur permettent pas de suivre correctement leur scolarité, mais également de travailler avec la famille pour installer leur enfant dans des dispositions psychologiques propices à l’apprentissage, ou encore de faire intermédiation entre l’école et les familles, de jouer un rôle de relais local vers les professionnels adéquats mais aussi de vigilance sociale…
Dans un contexte de fonctionnement institutionnel en silo, les PRE inventent ainsi de nouvelles manières de faire les politiques publiques, sous l’égide de municipalités qui ont souvent su intégrer le dispositif dans une stratégie éducative locale cohérente.
Outils de progression des politiques publiques, les PRE constituent également un levier d’innovation pour trouver des solutions aux problématiques éducatives des quartiers : actions pédagogiques originales pour restaurer la motivation des enfants, projets montés par des jeunes pour leur donner le goût de la persévérance, médiation ethnoculturelle école/familles, actions de prévention du décrochage précoce des collégiens, ateliers artistiques et culturels pour activer les compétences soft des élèves…
Les PRE ont permis, dans ce contexte, de développer des modes de collaboration inédits avec les acteurs de l’Éducation nationale et, progressivement, d’organiser et de concrétiser l’articulation entre réussite scolaire et réussite éducative. Un enfant en mal-être et non épanoui, peu disponible psychologiquement et ne disposant pas des « codes » et ressources nécessaires pour comprendre ce que l’école attend de lui n’est pas en capacité de s’investir dans sa scolarité et d’y réussir. Cela paraît évident. Comme l’a fait François Dubet dans sa conférence à La Rochelle lors de la rencontre, il est utile de rappeler qu’à l’école française les inégalités scolaires sont plus fortement liées aux inégalités sociales que dans d’autres systèmes scolaires dans le monde. Pour le sociologue, la norme sociale appliquée à l’école est celle des élites et l’accumulation de multiples inégalités (sélection par les disciplines ou les filières, manière de regrouper les enfants, impacts des préjugés des enseignants ou « effet Pygmalion », capacité des parents à coacher leurs enfants dans la compétition scolaire…) est créatrice d’un système profondément inégalitaire, également marqué par les mécanismes de ségrégation lourds (vis-à-vis des « minorités »). Dans ce système, le diplôme est roi, et la responsabilité de l’échec est attribuée aux enfants eux-mêmes, sans grande bienveillance. Une sorte de fatalité du tri, orchestrée par une « machine imperturbable », pour reprendre l’expression de François Dubet, laissant paraître une certaine résignation concernant le « destin des vaincus » …
Le travail réalisé par les équipes de Réussite éducative dans les quartiers les plus en difficulté ne constitue pas un simple dispositif de compensation des dysfonctionnements du système. En premier lieu, la part d’innovation que les PRE distillent dans les politiques publiques est importante, et produit d’autant plus d’impacts lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie municipale intelligente, couplant innovation éducative, travail sur la sectorisation scolaire et articulation entre rénovation urbaine et action socioéducative. Par ailleurs, les PRE, comme les actions qu’ils soutiennent, tels le Coup de Pouce, ou encore d’autres actions innovantes « périscolaires » qui foisonnent aujourd’hui, telles les Savanturiers ou Énergie Jeunes, apportent de la transformation pédagogique, redessinent les modes de fonctionnement de l’organisation scolaire, ouvrent l’instruction à l’éducation, diversifient les modes d’apprentissages et les perspectives d’avenir, pluralise l’utilité de la connaissance…
En travaillant sur le sentiment de compétence, mais aussi sur l’autonomie et les compétences sociales et transversales, les PRE permettent aux enfants de redonner sens à leur scolarité et de s’y sentir mieux, ce qui est déjà une « réussite » en soi. Ils accompagnent également la construction d’un individu renforcé dans ses compétences premières – son entreprenance– qui vont lui permettre de développer l’estime de soi, sa « volonté » (la « grit » d’Angela Dukworth, au sens de persévérance), la confiance en sa capacité à progresser (le « growth mindset » de Carol Dweck), la perception de sa propre identité (prendre conscience de sa valeur, contre les stéréotypes négatifs qui fleurissent à l’école française), la capacité à se projeter dans l’avenir… Toutes ces habiletés et compétences sont considérées aujourd’hui par de nombreux chercheurs comme déterminantes dans la réussite scolaire des individus, mais également dans leur réussite de vie ou professionnelle ! Et, loin d’être « innées », ces compétences peuvent être activées et renforcées par des interventions appropriées. Et les neurosciences nous démontrent que ces compétences soft activent les compétences hard…
Centrer le propos sur les compétences transversales n’est pas anodin en ce qui concerne les quartiers, marqués par le faible sentiment de compétence, l’autocensure, la difficulté à se projeter… Proposer un tel point de vue permet de redonner sens à une espérance démocratique ébréchée par la mythification de l’école républicaine (parler de mythe est faible) dans la mesure où il n’est pas nécessaire de disposer d’un capital cognitif, social et culturel pour développer ces capacités que chacun a en soi. C’est aussi qualifier et faire confiance en ce qui se trame aujourd’hui en termes d’interventions éducatives, aux contours de l’école, stimulées par des formes d’action publique inédites, exceptionnelles, innovantes (La France S’engage, les PIA…).
Considérons que nous sommes dans une émergence, prometteuse de nouvelles perspectives. Ces interventions, autour de l’école ou dans l’école, offrent une vision de la réussite éducative plus large que l’obtention d’un diplôme et la poursuite d’un parcours élitiste dont sera évincée, mécaniquement, une bonne partie des élèves… Dans ce paysage, les PRE parviennent à lier réussite éducative et réussite scolaire, tout en agissant sur des données de base pour tout élève de classe moyenne et supérieure, la santé et le soutien familial, et en activant des collaborations d’acteurs inédites.
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La place des PRE dans le contexte éducatif et social actuel est centrale, parce qu’ils répondent à des besoins éducatifs et sociaux primaires pour les enfants les plus défavorisés et qu’ils leur offrent des ressources innovantes, activant des compétences du XXIème siècle !
Il faut donc continuer à nourrir et à donner des moyens à ces équipes, valoriser leur expertise et les accompagner dans les démarches les plus ardues, telles l’évaluation de leur dispositif, afin de démontrer la qualité sociale de leurs impacts. Les PRE ont construit une action collective inédite dans les banlieues, il est temps de la reconnaître au niveau national, d’en tirer expérience et d’en diffuser la méthode.
10ème Rencontre nationale de la Réussite éducative – Site de l’Anaré